
Côte d’Ivoire/ Présidentielle 2025: les germes d’une autre crise plus que patents
À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle de 2025, la Côte d’Ivoire retient son souffle. Les signaux d’un climat politique de plus en plus tendu s’accumulent, avec des craintes d’une nouvelle crise violente. Les germes du conflit sont perceptibles. Récemment, deux déclarations récentes, prononcées par des figures majeures de la vie politique ivoirienne, ont particulièrement attiré l’attention.
Le 7 juin 2025, lors d’un meeting tenu à Port-Bouët, Laurent Gbagbo, ancien président et leader du PPA-CI, a lancé un appel sans équivoque : « Préparez-vous à la bagarre ». Une phrase qui fait froid dans le dos, surtout dans un pays encore hanté par les souvenirs de la crise post-électorale de 2010-2011. Une semaine plus tard, le 14 juin 2025, à Paris, Mamadou Touré, ministre et cadre influent du RHDP, a à son tour tenu des propos alarmants en s’adressant à l’opposition depuis l’Europe : « Quand ils étaient au pouvoir, nous les avons frapper, c’est maintenant que nous sommes au pouvoir qu’ils vont nous frapper. Nous allons toujours vous frapper », a déclaré Touré Mamadou devant les partisans du RHDP. Ce langage guerrier, adopté au plus haut niveau, n’est pas seulement une dérive verbale. Il est le symptôme d’un système politique encore profondément marqué par une logique de confrontation, où la victoire électorale est perçue comme un enjeu vital, parfois au prix du sang.
Ces prises de parole ne peuvent être considérées à la légère dans un pays dont la mémoire collective reste traumatisée par les événements de 2010-2011. À l’époque, le refus de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara de reconnaître de l’un ou l’autre, avait précipité la Côte d’Ivoire dans une guerre civile de plusieurs mois. Le bilan fut tragique : plus de 3 000 morts selon l’ONU, des centaines de milliers de déplacés internes et externes, des violations massives des droits humains, des exécutions sommaires, des disparitions forcées et des violences sexuelles. Ce conflit a laissé des cicatrices profondes dans la société ivoirienne.
La réconciliation annoncée n’a jamais véritablement guéri les blessures. Beaucoup de victimes attendent encore vérité, justice et réparation. Le sentiment d’impunité demeure, tout comme les fractures ethniques, régionales et politiques.
Dans ce contexte instable, les discours belliqueux prononcés aujourd’hui résonnent dangereusement. Ils installent l’idée que la violence pourrait de nouveau être un mode d’expression politique acceptable. Pourtant, les institutions qui devraient jouer un rôle d’arbitre neutre dans le jeu électoral – telles que la CEI ou le Conseil constitutionnel – sont elles-mêmes souvent critiquées pour leur manque d’impartialité. Cette défiance généralisée alimente les tensions et fragilise davantage un processus démocratique déjà miné par l’absence de consensus sur les règles du jeu : réforme de la CEI, conditions d’éligibilité, sécurisation du scrutin, entre autres. Dans ces conditions, il suffit de peu pour qu’un mot malheureux, une provocation, un affrontement isolé se transforme en détonateur national.
Face à ces risques, un sursaut collectif s’impose. Les leaders politiques ont une responsabilité historique : celle de préserver la paix et l’unité nationale. Ils doivent cesser d’instrumentaliser leurs bases, en particulier la jeunesse, souvent utilisée comme bras armé de leurs ambitions personnelles. Ils doivent comprendre que les paroles ont un poids, surtout lorsqu’elles sont prononcées dans un pays où la moindre étincelle peut rallumer le brasier. De même, la société civile, les médias, les religieux et les partenaires internationaux doivent se mobiliser pour exiger un débat politique inclusif, apaisé et respectueux. Il est encore temps d’éviter le pire.
La Côte d’Ivoire a trop souffert de ses crises successives. Elle mérite enfin un rendez-vous électoral digne, transparent et pacifique. Le pouvoir ne doit pas être une raison de détruire, d’exclure ou d’opprimer. La paix ne se décrète pas, elle se construit, patiemment, collectivement, dans le respect de la diversité des opinions et des aspirations. Si les dirigeants politiques n’en prennent pas conscience, alors oui, il faudra s’attendre au pire. Mais ce pire n’est pas inévitable. Il dépend de la volonté des uns et des autres d’écrire enfin une autre page de l’histoire ivoirienne.